Extraits de ÉCLATS (éditions Motus, 1991)

Cet arbre ancien

ramée des prénoms
d’où provient mon écorce

l’oiseau du désir
– la nuit du feuillage

Ecrire à la proue

embarquer dans l’obscur

et sentir le silence

écumer à mes flancs

Sans nom
– Douze mille corbeaux dans mon ombre

Bras levé
– Une armée de murmures me traverse

L’incendie splendide

Extraits de SOUS LE VOILE DE TÂNIT (La Bartavelle – 1999)

secouer tous les piliers du ciel quand ça cogne. Dents serrées, doigts tordus — grand cri vertical

le premier, toujours — rouge de ce souffle qu’on voulait, rouge de ce rêve — toujours

mordre le mortier de pierre où les dents sont pilées, briser ce qui brise — bondir dans l’aube — voler ! voler !

percer le puits premier, percer le sol certain — lumière ! — l’intérieur du cri

rouge

je riais sous le voile de Tânit — et la salive séchait dans ma bouche, quand tu dansais pour le guerrier, toi dont un poignard caressait la cuisse

je riais sous le voile de Tânit, tu tremblais aux tambours, et la terre avec toi

un lait fumant d’aube écumait sur ta poitrine quand tu courais, avec l’enfant, dans les forêts illuminées

bouche ouverte et les étoiles heurtaient nos dents

— là ! — consumés ! — véritables !

Crache et crie ! Voici les tombeaux — tornades superbes. Hume à pleins naseaux : la tempête est là, déjà les vitres éclatent.

A moi, les ordures ! A moi, les vérités ! A moi, tous les trésors cachés, ce qui fait voler, ce qui vaporise !

Fictions — illusions — qu’elles reviennent, qu’elles me possèdent — fraîches ! — cire à mes ailes, pour le premier soleil.

Extraits de OUEST (Ecrits des Forges – 2003)

Soufle vert souffle gris
Chargé de pluie le grain
Plie la pierre sous lui

Viens trop vive mémoire
Des naufrages brûlant
Désir des gouffres vergues

Brisées dans les heures sèches

La conscience fouettée
D’embruns embarque dans

Les creux du néant se
Consume dans l’ivresse

Spumescente

Jusqu’au-delà des îles Bienheureuses

Mercure plat. Jusqu’à toucher l’horizon.

Ciel gris limpide. Pas une mouche
Sur le fil.

Partir. Au bout. Là-bas, où il n’y a rien.
Cornouaille. Cork. L’Amérique.

Tout à coup – profondeur vert bouteille.
Mangée de bave. Soulèvements sans fin.
Rage thoracique, dégurgitation grondante.

Blanche frangée de moutons,
Eventails sur les digues,
Passes ouvertes et menaçantes.

Un caboteur y va, là-bas.
Où il n’y a rien, qu’un espoir de nom
Fiché au fond. Cornouaille. Cork. Et
L’Amérique.

Extrait de OESTE-OUEST, édition bilingue de OUEST.

Traduction en espagnol par le poète mexicain Gabriel MARTIN, Mantis editores-Ecrits des Forges, 2006

¿ quién te detiene?

qui te retient ?

¿ quién te llama?

qui t’appelle ?

ladrido de alegres hienas

jappement des hyènes joyeuses

sobre la roca engalanada de intangible

sur le roc festonné d’intangible

dulce baile de la resaca

douce danse du ressac

un navío fondea sobre el arrecife

drosse un vaisseau sur le récif

coronado de aromas hermosos y brutales

couronné d’odeurs brutales et belles

¡ adelante !

Va !

Extraits de Polynésie-Poésie (éditions des Forges – mars 2006)

POLYNÉSIE-POÉSIE, dernière oeuvre de Loïc HERRY écrite au retour de Tahiti. Il visite avec Christel îles et atolls. C’est son dernier voyage.

l n’y a pas de paradis sur terre

Sur le ciel bleu
Le trait gracieux du paille-en-queue

* * *
Il n’y a pas de paradis sur terre

Bouteilles vides de la bringue
poches vides avenir sans lumière

Au fond d’un œil tu as vu
s’approcher le cyclone

* * *
Il n’y a pas de paradis sur terre

Mon amour marche dans le lagon
Le plaisir solaire la traverse

Le monde se cambre à ses reins

chien maigre efflanqué
fantôme de poubelle
dans le regard le souvenir
d’un pied d’un bâton

chien gras mâtiné de pittbull
dans les mâchoires le sens
de la propriété

dans le soleil du soir les chiens
jouent sur la route
parmi les mangues écrasées les
cartons les bouteilles abandonnées

haere po je dis
haere po je dis je t’aime
ho ! ho ! – tamouré !
je dis je t’aime quand tu marches
haere po je dis
je t’aime quand tu t’allonges
je suis le récitant des parfums de ta peau
jusqu’au bout de la nuit

– tamouré !

* haere po : le récitant du nom des ancêtres

Polynésie-Poésie est suivi de poèmes : La Poésie, c’est…

… »La Poésie, c’est comme une caresse : ça ne sert à rien… »

la phrase trouve son souffle dans
l’hypothèse la page est élargie
par le conte le monde s’enfle
dans les poumons du songe

un pas plus loin
– la nuit comme un royaume

Extraits du poème Night and Day (Wigwam, 2008)

Je descendrai les avenues je frapperai aux portes
Je dirai je suis saltimbanque mon père pesait
Les nuages les vents mon frère est forgeron
Engagez-moi et je ferai jusqu’à des bouts-rimés

Ce matin je l’ai vu celui qui cachait son visage
Une affiche expliquait qu’il sortait de prison
Qu’il était sans ressources et la foule devant lui
Demeurait sans regard à l’officine où l’on se vend

J’ai dit j’ai été brancardier jongleur instituteur
On m’a dit demain peut-être ou si vous saviez danser
J’ai pensé ich bin ein Dichter
Quelque part l’écho répétait ich bin ein Berliner
Les avions se posaient mais j’étais encerclé
Ce matin je m’en souviens je respirais je croyais

Extraits de CRISE de MANQUE (Bernard Dumerchez, 2010)

Lettre à Christel… » Voici Crise de manque… C’est écrit d’abord à partir de toi, du manque de toi, et dans la constance de ta présence…
Mais le manque, là-dedans, désigne aussi le lieu de la poésie dans la société contemporaine : nulle part. C’est pour cela que la dernière partie tourne autour d’Antigone, celle qui dit ce que les autres ne veulent pas entendre ; c’est pour cela aussi que les versets sont entrecoupés d’annonces publicitaires et de slogans divers ; au manque répond le trop-plein : fracas permanent des « informations » vides de sens, recouvrements successifs de strates de paroles qui cessent d’être de la parole pour n’être plus que de bruit (c’est ce que j’appelais la « rumeur »).  »

Tu es ici, tu es à l’autre bout du monde – évanescente dans la distance. Polynésie. Entre les doigts, ce fil noir.
Plaine à blé. Les drapeaux des compagnies céréalières y flottent, sur les squelettes de ceux qui marchaient là, fusil en main. Le vent. Cimetière polonais à Grainville-Langanerie.
…Lentilles cuisinées aux petits légumes. William Saurin. 5,25 F. (Et hop ! Prisunic).
…La Terre tourne, tu es de l’autre côté. Je creuse de l’ongle parmi les signes indécidables.

Je vois ton corps dans l’eau turquoise, tes épaules écartent le rêve, tes hanches sont dans mes mains. Tu m’as été donnée, le manque est mon fait.

Christel. A toutes et aucune autre. Rien ne finit jamais.
Allons ! Demain, on se taira encore, et on tuera gratis. (Yougoslavie pour tous).

A l’automne, l’Eglise a réhabilité Galileo Galilei. Les feuilles tombent, la Terre tourne.

Musique obligatoire, messages publicitaires, signaux, signaux incessants, rumeur de la foule, injonctions, interpellations, conseils, silences heurtés – et la parole, au fond, la vraie, la solitaire, la parole que les vagues recouvrent, érodent.

C’est l’heure d’Antigone. – L’instant clair

Ses frères boivent l’oubli, mais elle va – celle qui pose un peu de terre sur la peau interdite.

Un jour, c’est la fin. – On mure la caverne, et sa voix est là, encore. Ce n’est pas la voix d’hier, c’est la voix d’à nouveau et encore.

Je sais que tu es ici, ma vivante. Ou au bout du monde. Ta peau blanche et grenue sous la lumière de toujours. Le rythme de ton cœur et de tes hanches.

C’est l’heure.