1999 – Portrait de l’Artiste en personnage de roman
Seul recueil en prose, et seul regroupement de textes qui n’ait pas été fait par l’auteur.
Ces nouvelles ont presque toutes été retrouvées dans des revues littéraires.
7 nouvelles parues en 1999
L’Harmattan
Collection Ecritures
Nouvelle édition : juin 2015
Extraits de la longue et magnifique PREFACE d’ Hélène CIXOUS
Ces écrivains ont dit à la parution des nouvelles…
Michel BESNIER…
dans sa préface de SOUS LE VOILE DE TÂNIT , paru en même temps que les nouvelles :
« Les deux voix de Loïc HERRY, celle de la dureté d’être et celle du bonheur d’être, sont la même : l’une des plus justes, des plus âpres, des plus douces, des plus bouleversantes… »
Lettre de Hubert Haddad, 2008
Merci pour le Portrait, ces nouvelles sont d’une rare sensibilité et le ton est unique, même si l’on pense parfois à Joe Bousquet et même à Jules Vallès.
C’est très beau, il faudrait un jour donner un plus large écho à ces textes (peut-être pourrait-on déjà, avec l’accord de l’éditeur, tenter d’en publier en revue, ici et là, je pense à Brèves, à Harfang, au Matricule des anges?)
Gilles PERRAULT… Extrait de lettre de janvier 2000
« Je suis convaincu qu’on lira Loïc bien après que nous aurons, les uns et les autres, disparu.
C’est tout ébloui que j’émerge de la lecture des textes de Loïc HERRY. Tout est magnifique dans le recueil.
« Aux Tuileries » est d’une perfection qui touche au classique. Rarement la mort fut-elle évoquée avec tant de force, de violence sourde, tout en étant comme apprivoisée par la magie du verbe…. …
On referme tout cela avec la certitude d’avoir côtoyé, le temps d’une lecture, un poète, un écrivain, un grand artiste. Et l’on sait qu’on y reviendra. Œuvre trop courte, hélas, création trop tôt interrompue, mais assurément œuvre immense, et qui restera. »
EXTRAITS d’articles parus en 2000- 2001
L’insurgé
C R L de Basse-Normandie Livre / échange N°13 – Juin 2000
…Trop tôt parti, c’est l’évidence quand on lit ses poèmes dans Sous le voile de Tânit, et son recueil de nouvelles, Portrait de l’Artiste en personnage de roman. […]. Dans les mots de Herry, se lit une rare exigence envers la vie, ne souffrant pas la demi-mesure, l’eau tiède. Dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, le personnage principal, Pierre Lipstein, cherche à atteindre le point le plus incandescent de l’existence. Au Maroc, il trouve d’autres assoiffés, « des gens qui vivaient – des regards, pas simplement l’œil lourd du bœuf tiré par le licol ». Mais leur credo (sexe et drogue en abondance) n’est pas le sien. Il fuit et retrouve la Normandie (très présente dans tous ses textes). Il cherche une issue, tente le combat politique, autre cause perdue. L’amour d’une femme pourrait le sauver, mais il en attend tellement…Son monde est celui de la littérature, son réel est celui des écrivains, dont les noms sont cités à chaque page, directement ou par allusion (Joyce, Hesse, Conrad, Delteil, Koestler, Blake…). « Y aura-t-il une surprise ? Non. Là-bas, où il croit atteindre, la nuit l’attend. » Ce pessimisme révolté mais pas abattu, se retrouve dans ses poèmes… Pas d’illusion donc, mais l’envie d’en découdre, de trouver la beauté là où elle se cache (chez la femme bien sûr) et de lui donner corps aussi par la poésie…
Dominique NÉDELLEC
Deux recueils inédits au Printemps Littéraire
LE PERCHE – 16 mars 2000
Depuis que Loïc Herry est parti vers ses « royaumes nouveaux », le vif est veuf.
… Entre calligraphie, graphisme et littérature, Loïc Herry voulait tout. Pour aller à l’essentiel. Ecrire à vif, sur le vif, dans le vif… …A nouveau Loïc Herry fait briller les mots d’un nouvel éclat. Brillant, mais acéré comme une lame. Lumineux et dangereux.
Fabrice PICANDÉ
Le Poète du déchirant bonheur
Loïc Herry avait ce regard que nous ne savons pas toujours porter sur nous-mêmes et sur la vie. Lucide. C’est-à-dire à la fois dur et tendre, impitoyable et plein d’espoir, discret avec des lumières froides.
Dense et noir, il rejoint parfois le pessimisme viscéral d’un Cioran. Mais quand il se fait aérien, éthéré, quand il tutoie ce qu’il nomme » l’universoleil « , il nous propose d’écarquiller le cœur en toute confiance.
Loïc Herry est celui qui nous blesse et puis nous cicatrise.
MANCHE INFORMATIONS N 33-Revue du Conseil Général – 2000
Ce jeune auteur, natif de Cherbourg et enseignant dans l’Orne, laisse une production poétique et littéraire étonnante. Certaines existences sont si brèves que les qualités de la personne n’apparaissent qu’après leur mort.
L’écriture a toujours été pour lui un besoin, une nécessité.
Le hasard des nominations l’a emmené dans l’Orne à Alençon, Flers et Mortagne-au-Perche, loin de son Cotentin natal, pourtant toujours présent dans ses créations :
La conscience d’une fugacité de la vie, de sa vie, est fortement présente dans ses œuvres. Le thème du souffle, des poumons, revient régulièrement, bien avant l’annonce de la maladie…
Matthieu Toussaint – LA MANCHE LIBRE 2 juillet 2000
LA VOIX ESSENTIELLE DE LOÏC HERRY par Guy ALLIX
…Un grand écrivain, trop tôt disparu.
Certaines œuvres font corps à jamais avec le destin de celui qui les grave dans la pierre et le sang. En ce temps de vacarme et d’indigence où trop souvent la littérature elle-même se perd dans les méandres de la futilité et la démission d’un minimalisme indigne, il est bon de retrouver de telles œuvres « trempées d’amour » comme l’écrit Hélène Cixous dans sa superbe préface.
…La première nouvelle publiée dans Portrait de l’artiste en personnage de roman le dit si bien. « Il allait mourir et il le savait ». …Ce sont des « paroles essentielles » comme celles prononcées par « le « Montaigne de la fin » : « celui qui retrouve le poids et la souplesse de la chair », des paroles qui assument le non savoir (ce savoir du non savoir !) de ce qu’Hélène Cixous encore appelle fort justement un « cherchant »…
« Est-il possible de supporter cette société close et sombre ? Est-il possible que les gens acceptent indéfiniment la masse étouffante de l’injustice ? Est-il possible qu’il n’y ait pas même un vasistas…? Est-il possible de marcher plus avant, de franchir un jour de plus, avec au creux du ventre la douleur de l’impuissance ? Est-il possible d’accepter de ne rien pouvoir faire, de n’être rien, de ne pas être ? » écrit Loïc Herry qui inscrit là l’errance de toute une génération dans le personnage de Pierre Liptstein, sorte de double de l’auteur quand bien même celui-ci se refuse à envisager le Portrait comme un récit autobiographique… Car Loïc Herry façonne une narration qui nous égare, avec beaucoup de subtilité, par le jeu du point de vue et des temps dans cette nouvelle comme pour nous conduire vers un autre « je », plus authentique et plus présent.
La révolte se lit aussi entre les lignes de la très belle nouvelle intitulée ironiquement « Dernière » et qui avait été publiée déjà sous forme de cassette audio il y a près de vingt ans par les éditions Motus. Toute la bêtise et la cruauté de la guerre y sont dites avec les mots les plus choisis. Mais en même temps se donne à lire aussi un très beau texte d’amour.
La tendresse se dévoile dans tous ces beaux portraits de femmes, dont Christel la compagne, dans la première nouvelle, Aux Tuileries…
Ainsi Loïc Herry est donc plus que jamais vivant, ressuscité par ceux qui ont su retrouver dans ses textes sa voix la plus sûre et se dévouent sans compter pour que cette voix fraternelle puisse aujourd’hui nous accompagner.
Bienvenue donc ici et maintenant Loïc Herry.
Guy ALLIX, « Les Cahiers du Sens », 2001
… et ces réactions d’écrivains, même en 2006 et en 2008
Jocelyne d’Agostino (écrivain, décédée en 2007)
« Il allait mourir. »C’est ainsi que commence ce livre (un recueil de nouvelles). Cette phrase si courte, brutale, Loïc Herry ne l’aura jamais vue imprimée… Pourtant, dans les textes de cet ouvrage, Loïc Herry ne fera pas d’autre allusion directe à ce trépas qui l’attend. Au contraire, de page en page, ce sont les composantes de la vie et les résonances de l’amour qu’il nous donne en partage. Son écriture est une des plus sensuelles qui soient, l’écriture d’un homme qui sait voir et ressentir. L’écriture d’un homme de cœur. L’écriture d’un poète vrai. Une écriture coulée, prenante ; et des histoires qui racontent les humains, les sentiments, les objets, les paysages. Aussi une manière très belle de dire la femme. « Elle venait vers lui ; son visage, son sourire, se défaisaient de la distance. Le mouvement de ses hanches, dépourvu d’ostentation, dépourvu de froideur, annonçait son parfum, réveillait le vieux serpent lové. le pilier du monde. » De toute évidence, Loïc Herry connaissait le verbe aimer, ce verbe de l’âme et du corps. Mais une écriture toujours pudique ; simplement charnelle. Authentique. Vivante.
… C’est par le hasard d’un stand au Marché de la Poésie qu’en juin dernier j’ai acheté ce livre. Je n’ai pas connu Loïc Herry. J’ignorais même son existence. S’il avait vécu, aurait-il écrit d’autres nouvelles ou romans de cette qualité ? En tout cas ce livre est un grand livre ; et l’écrivain Loïc Herry ne devrait pas être oublié.
LES CAHIERS DU SENS 2006 – Revue annuelle de poésie – Paris
Le Salut de Loïc Herry
Autoportrait de Pierre au point de départ avec un soleil se dessinant très haut en grand zéro
Aller
Ecrire, mourir ; écrire mourir ; écrire : mourir et ne pas mourir. Rester. Passer mais rester…
Voilà son projet complexe, actif, sa stratégie de survie.
L’auteur dont je suis les pages avec émotion, l’ai-je connu ? Peut-être, un peu, trop vite, et maintenant je regrette le peu ; mais il laisse une œuvre, une vraie. Et voici que je le connais, comme l’on connaît ceux qui ne sont ni vivants ni morts, les poètes. Ceux qui vivent, toute perte consumée, d’une vie échappée à la fin. Loïc Herry s’est sauvé. Par la porte du livre, il entre fort, mort, mort peut-être mais non effacé, mais recommencé.
C’est qu’avec une énergie admirable, l’artiste qui en lui mûrissait a fait de ce qui allait arriver prématurément une œuvre puissante, discrète, trempée d’amour. Trempe de miel et d’acier. Alliage d’extrême douceur et de flexible dureté. C’est beau, et c’est miracle, ce texte qui ne sait pas, qui ne sait pas (?), qui va, sachant qu’il ne sait pas, qui file au vent, toutes voiles debout, pressentant le récif, caressant le rocher qui va l’éventrer, qui va chantant avec de merveilleuses délicatesses les plus petits détails du monde.
Savait-il longtemps avant de savoir officiellement, techniquement, que le cours de sa vie serait court ? On ne saura jamais. …Un climat d’adieu s’étend sur toutes les nouvelles d’avant et après la mauvaise nouvelle.
…Jamais de cliché. Toujours le plus minime événement est capté dans sa singularité, dans sa minute, saisi à la source. Cela produit pour la lecture mille éblouissements. Et pourtant il s’agit de quotidien, d’histoires de jeunes gens. Rien d’extraordinaire. Et pourtant c’est l’extraordinaire de l’ordinaire qui est sauvé du néant.
Contes et légendes de la réalité. Tout est conté. Lever de soleil, routes, murs, canal, passants. Rien n’est omis, oblitéré.
Cela ne veut pas dire obsession minuscule ou fétichisme du détail. Mais ce que Loïc Herry aura tout de suite déployé c’est l’empan des très grands écrivains : chaque instant est déroulé entre la maison et le monde. Entre la maison vécue cosmiquement et le monde infini et intime.
Loïc Herry, on l’aura déchiffré, c’est l’héroïque serviteur de la Création, celui qui demeure humble, c’est-à-dire proche de la terre afin de mieux faire briller les hauteurs. J’ai dit son nom qui toujours fut emporté en pseudonymes. Lui-même dans le Portrait…dont il veut déconstruire la charge autobiographique appelle « l’artiste » Pierre Lipstein… Figure floue qui danserait, voilà l’homme : celui-là qui n’est pas tout à fait là.
Vie et littérature pour lui se touchent, se mirent, ne se séparent pas… Pour parler de vivre, il cite. Il vit avec traductions. Avec mémoire, accompagnements. … Il va environné de ses prédécesseurs, comme une sorte de Virgile ou d’Enée chez les morts, demandant son chemin et son sort.
… … Le texte raconte : « Il allait mourir. Il s’éloigna de la Seine. Il se dirigea vers l’intérieur du jardin des Tuileries… » Texte ténu, désaffecté, économe. Semble-t-il. Je reprends ma lecture : un autre récit se lève : Il s’en allait mourir. Il s’éloigna de la scène. Il se dirigea vers l’intérieur du jardin.
Le jardin est double. C’est le jardin des Livres. C’est le jardin des gens.
Il entre en littérature – en profondeurs. Dans le double jardin l’attendent d’abord Montaigne et tous ses descendants – et en allant plus loin, et plus forte que toutes les peurs, Christel, celle qui vient vers lui et que nul pseudonyme ni nom d’auteur ne costume.
… Il allait mourir. Trois mots. Un changement de monde. Un chemin. Une phrase.
… … « C’est la nuit, (écrit-il p.105), c’est la douleur, et au bout, les royaumes nouveaux. » Superbe énoncé – qui se laisse hanter par Rimbaud –
… Un jour, il vient de citer Jaccottet, et quelqu’un, c’est Sophie, lui demande : « tu te cacheras donc toujours derrière les mots des autres ? »
C’est Sophie, sa propre voix ventriloque.
« Il la regarde », – écrit le texte -, « celle qu’il aime, et dans le bref espace qui les sépare, s’étend soudain comme sur un buvard, la tache de l’incompréhension ». Sur ces mots nouveaux, il rompt avec son personnage.
C’est à ces ruptures que l’on reconnaît l’écriture : elle va plus loin, toujours, et même elle n’a pas d’autre pas que celui qui suit le suivant. Elle détale. Elle va incomprendre. Elle va vers la suprême incompréhension. Elle va mourir avec lui et de lui, et personne pour l’avoir précédé en ce lieu. Ici s’arrête la citation.
Ici est né un écrivain sans pareil.
En le lisant et le découvrant, j’ai eu envie de pleurer : soudain, là, en plein papier, je l’ai perdu. Sitôt trouvé, sitôt repris. Mais l’œuvre demeure à sa place, immense, déchirant bonheur. Elle, ne mourra plus.
Hélène C I X O U S – 3 juin 1999