2006 – Polynésie-poésie suivi de La Poésie c’est…
Préface : Hughes LABRUSSE
Photo de couverture : Loïc HERRY
Publié avec l’aide du Centre régional des Lettres de Basse-Normandie
Écrits des Forges (Québec) – ISBN : 2-89046-920-4
Écrit lors d’un voyage en Polynésie, entre la fin novembre 1994 et février 1995, Polynésie-Poésie offre à entendre les dernières vagues d’images qui ont traversé le regard de l’auteur.
La chaleur la couche sur le grand lit
le chien dort déjà au pied
un souffle hésite sur la terrasse
tremble dans les hibiscus et s’allonge aussi
tout est vert éclatant la vie !
Décédé d’un cancer du poumon en juillet 1995, Loïc Herry célèbre néanmoins dans Polynésie-Poésie la vie dans sa légèreté, ses vents, ses couleurs et sa poésie. Et, dans le texte qui suit, La Poésie c’est…, il nous offre sa propre définition du poète : « Le poète, c’est celui qui reste le sourire humide et le regard rêveur face à la structure folle d’une boîte à lettres où une étoile est jetée. Il ne pensera pas à sauver les blessés. »
Préface de Hughes LABRUSSE
Un geste, une caresse
Comment la Polynésie peut-elle conduire à une définition de la poésie qui, dans les contours éclatés de ses îles, n’en sera donc pas une ? C’est que, sans doute, la Polynésie, comme la poésie, ça ne sert à rien… Au fait, peut-être, que le dernier voyage a toujours commencé, à l’ouest de l’Ouest, là-bas où il n’y a rien. Si bien que les îles du Pacifique elles-mêmes, enveloppées dans le silence d’un langage ou d’un départ à jamais perdu, s’allongent du côté du couchant, là où disparaît l’horizon. Alors, la poésie, c’est « un pas plus loin – la nuit comme un royaume ». Loïc Herry nous le dit sans détour, puisque « la nuit s’étire vers les antipodes », semblable au trou creusé dans le jardin… C’est sa manière de visiter la beauté aux côtés de celle qu’il aime et face à cette page du Pacifique, toute chiffonnée, où se déploie la séparation.
…Alors, dès que le regard se renverse vers le ciel, quand le soir enflamme les nervures cambrées du torse, des membres, des fesses, paradoxalement « le calme et l’homme s’étendent sur le sol », dans le délice et la caresse. Tout le recueil se concentre, en vérité, autour d’un seul geste, cette caresse, alliée à la poésie…
… Caresse ou poésie, un geste qui se meurt. Si l’on croise les fils de l’absence, du mourir et de la caresse (érotique), se profile une triple articulation de la tournure poétique, du moins telle que je l’envisage : l’errance, la mourance et l’amourance.
L’errance est à l’œuvre dans la volatilisation consécutive au Big-Bang et à l’aveuglement qui s’annonce au regard de la nuit. La mourance hante l’oreille qui « palpe et sculpte le néant incertain ». L’amourance épèle les mots secrets dans leur enveloppe, la main qui a besoin de l’autre, la main de l’autre, « ta main ».
Je ne pense pas outrepasser la voix de Loïc Herry en lui attribuant des lignes et des séquences qui en surlignent l’écho… Je réponds ainsi, juste après sa déclaration majeure – « La poésie, c’est comme une caresse, ça ne sert à rien » – à l’adresse, à l’invitation que réverbère ensuite cet aveu : « Ce que tu ouvres m’ouvre ce que tu scandes
me multiplie »
C’est bien ce que suggère toute poésie, c’est bien ce qui reste du chuchotement des derniers poèmes de Loïc Herry, un reste irréductible, et juste une hypothèse si ce mot sous-tend, prolonge et endure la survie de ce qui nous a été confié. À vrai dire, ce n’aura pas été tout à fait le dernier voyage du poète, autour de l’œuvre écrite au retour de Tahiti, témoin de son séjour avec Christel, mais la préfiguration d’un éloignement qui nous appelle et nous rapproche pour les temps à venir.
Hughes Labrusse
CRITIQUES et commentaires…
Aujourd’hui POÈME – Mensuel d’information et d’actualité poétique – Paris Juin 2006
CARNET DE ROUTE POÉTIQUE
« il n’y a pas de paradis sur terre… », l’auteur de ce vers, Loïc Herry, savait de quoi il parlait. Né en 1958 à Cherbourg, il se découvre une tumeur au poumon en 1993 et disparaît deux ans plus tard – soutenu jusqu’au bout par la volonté féroce de ne pas abandonner l’écriture. Il avait trente-six ans.
Aujourd’hui paraît aux Ecrits des Forges le cinquième opus de Loïc Herry : Polynésie-Poésie suivi de La Poésie, c’est… bonheur entaché de tristesse bien sûr en sachant qu’un poète authentique, d’une rare sensibilité, nous aurait sans nul doute donné une grande œuvre si la mort ne l’avait fauché en pleine jeunesse.
L’essentiel du recueil a été composé lors d’un voyage en Polynésie de fin novembre à février 1995, lors de la dernière rémission, [ … ] à la suite d’une chimiothérapie qui détruisait le nerf optique du poète, ce qui fit écrire alors à Herry ce poème :
« si je devenais aveugle (et
je deviens aveugle) je regretterais
la contemplation de la nuit
de la nuit froide et odorante au fond
de laquelle respirent des vagues invisibles
une nuit dont le secret caresse le visage
comme un passé presque tangible ».
Un recueil envoûtant, déchirant, déchiré et d’une pudeur absolue vis à vis de la maladie qui dévorait le poète.
Bernard MAZO
livre/échange – CRL de Basse-Normandie – n° 34 / mai 2006
Polynésie, poésie… îles que l’archipel éparpille, mots que le poète rassemble. « Le poète c’est celui qui reste le sourire humide et le regard rêveur face à la structure folle d’une boîte à lettres où une étoile est jetée. Il ne pensera pas à sauver les blessés », écrivait le poète cherbourgeois Loïc Herry dans ce recueil édité à titre posthume… Heureuses surprises que ces poèmes voyages, permis alors par la rémission de la maladie et retrouvés au-delà des années. Sans aucun doute, Loïc aurait-il eu d’autres choses à dire, peut-être à modifier, lui qui n’avait de cesse de corriger, de réécrire…
Nathalie COLLEVILLE
JOURNAL DU MARCHE DE LA POÉSIE DE PARIS–juin 2006 – 24ème année
Loïc Herry profita d’une rémission pour visiter la Polynésie avec sa compagne, entreprenant là un voyage dans le fantasme d’un paradis sur terre, dont il tenta de mimer mentalement et poétiquement la disposition géographique.
C’est pourquoi les poèmes esquissent une carte de tendresse. Ils évoquent d’intenses fiançailles des corps avec la terre polynésienne, « grain de terre », « océan cutané », jusqu’à la fusion érotique, « courbe cambrée du cocotier dressé / sur le lagon », au rythme d’une émouvante lucidité qui s’appuie sur le dérisoire et la dérision dès le redoublement plosif au titre (Po/Po), et qui propage cependant par tout le livre l’assonance amoureuse en « i » qui fait entendre une onde de vie jusqu’au cœur du prénom de l’aimée, Christel, et y dépose un dernier message avant de disparaître : il n’y a peut-être pas de paradis sur terre, mais si on se laisse envahir par « le goût de la vie », on peut reconnaître « la Beauté ».
Jean-Pascal DUBOST
« Ici les voyage portés par le vent sont ceux de territoires et/ou d’océans, mais à la fois intérieurs, ne pouvant séparer le travail des yeux et de la mémoire. »
(Commentaire sur le site « Bienvenue chez Renaud Bray »)