OUEST, recueil de poésies

2003 – Parution de Ouest

Ce recueil, épuisé en un an et demi, a été réédité sous le nom de OESTE / OUEST en 2006

Novembre 2016 : voici le poème qui va être remis par le capitaine du Queen Elizabeth au Musée Cunard à Liverpool

Note grave et soutenue des Cunarders

Dans le thorax du port transatlantique

Départ à jamais perdu

Les grues écartent le bec des entrailles

Sombres. Les petits porteurs restent les

Bras ballants. Les cheminées rouges à

Bande noire saluent à plein souffle. Les

Remorqueurs sont en place

Départ à jamais perdu

Quelque part un garçon

écoute la sirène

descendre dans son ventre

une étrave fend la brume

La PRÉFACE de François DAVID

Un poète français, mort jeune, il y a peu d’années, a laissé derrière lui une œuvre d’une très rare qualité et riche de plus de recueils qu’on ne le savait. Il se trouve que ce poète a vécu en Basse-Normandie. Il se trouve qu’il évoque, dans l’un de ses textes encore inédits, sa région, qui est aussi la nôtre, spécifiquement en sa pointe : la Hague.

Le texte se nomme « Ouest » et son auteur est Loïc Herry. Ce sera une joie et un honneur de le voir paraître.
Car les termes quelquefois outrepassent la réalité dans l’élan généreux d’une présentation ou d’une préface. Mais quand il s’agit de Loïc Herry, le moindre excès des mots serait malencontreux tant il était attentif à leur densité, leur exacte mesure. Rien de trop ni d’enflé chez lui, mais le souffle d’une écriture si précise et si vraie qu’elle en paraît indépassable. En lisant, relisant « Ouest » je me disais qu’il ne serait possible, désormais, de dire la Hague que moins fort. Moins sensiblement. En une moindre émotion. Parce qu’au-delà des sensations sonores et de leur impact, en correspondance visuelle sur la page, il y a émotion aussi dans les textes de Loïc Herry, émotion malgré la pudeur, ou à cause de la pudeur dépassée qui soudain ose dire le point le plus sensible.
Des lycéens de Cherbourg, pratiquant le théâtre, ont donné à entendre l’an passé certains de ces poèmes et la salle était attentive, tendue et touchée infiniment. Et les lycéens sont entrés dans ces vers, malgré leur exigence, avec un intense engagement et ont voulu défendre les poèmes de Loïc Herry comme ils auraient défendu ceux d’Arthur Rimbaud, un Rimbaud proche d’eux et par le temps et par l’espace, avec la silhouette jeune de Loïc leur évoquant celle de l’auteur d’« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » sur les affiches d’Ernest Pignon-Ernest. Le rapprochement peut paraître inattendu, voire audacieux. Il est, je crois, simplement juste même si Loïc Herry, grand connaisseur et de la poésie antérieure, et de la poésie contemporaine ne s’est pas contenté de placer ses vers dans le prolongement des poètes qu’il aimait et qui pour lui comptaient comme des êtres proches. Il a une forme qui lui est propre, transcendant ce dont il était passionnément nourri pour parvenir à une écriture neuve et personnelle.

Comme les autres textes de Loïc Herry, « Ouest » est un texte fort, cinglant malgré la tendresse attentive de l’homme, un texte qui porte en lui les embruns qu’il suggère, un texte qui, évoquant cette région, la fait paraître unique, irremplaçable au cœur de ceux qui l’ignoraient comme à ceux qui lui sont ardemment attachés.

François DAVID

François DAVID, écrivain et poète, est le créateur des Editions MØTUS qui ont publié le premier recueil de poésie de Loïc : ÉCLATS, en 1991, ainsi qu’une nouvelle en 1983 : Dernière, dans une édition sur cassettes, VOIX(ES).

EXTRAITS d’articles parus en 2003 au sujet de OUEST

LE NOUVEL OBSERVATEUR – N°2018 -10 juillet 2003

… Voici l’œuvre posthume de ce poète au visage d’enfance, qui savait que « la vie ne tient jamais qu’à un regard ». Avec des mots rares il parle de la Hague, du Bocage Normand qu’il lit pierre à pierre, de la mer, des remorqueurs et de la mémoire des varechs. Et du sens de la vie : « Quelque part un garçon écoute la sirène descendre dans son ventre. » Puis il écrit encore : « J’ai pensé ‘Ich bin ein Dichter’. »

Oui, Loïc Herry est un poète.

Ruth VALENTINI

Un. Le lecteur, s’il est du même pays que Loïc, saura décrypter ce lieu, vers l’Ouest, fait de pierre et d’eau, ce « cap cambré sous les grains », cette côte visitée par les oiseaux, les bateaux, les vagues. A deux heures du matin, tout ce qui se cache derrière la vitre, bruits, souffles, éclats de lumière, odeur du varech. Tout ce qui se cache derrière la vitre et tout ce qui se cache en nous.

Deux. Le matin. « La vie retirée loin des marées ». La vie d’un bourg normand avec ses habitants, ses animaux, ses marchés, ses cafés, ses travaux, ses machines, signes d’aujourd’hui. « L’infini et la paralysie ».
Trois. La litanie des départs manqués. « Départ à jamais perdu / Quelque part un garçon / écoute la sirène / descendre dans son ventre ». Départ vers les villes rêvées, vers les villes cachées, vers les villes de la mémoire.
Quatre. « Partir Il faut partir quand ça / crie quand ça fume ». Va-t-on embarquer enfin sur des cargos aux noms de femmes ? Toutes les aventures sont possibles. Et la Bête que sont les brisants.

« Qui te retient ? / Qui t’appelle ? » Mille départs sont ouverts.

Loïc Herry a réussi à faire tenir dans ce petit livre tout l’Ouest.

Claire LEFEBVRE OUEST-FRANCE 6 mai 2003

LIVRE/ ÉCHANGE, magazine du CRL de Basse-Normandie – juillet 2003

À quoi peut bien rêver un jeune écrivain originaire de Cherbourg qui intitule son recueil Ouest ?

On imagine qu’il pense à l’ouest de l’Ouest, qu’il se projette dans un Nouveau Monde qu’il reconstruirait ou dont il aurait fait l’expérience…
On sent que le livre a été travaillé, repris, composé comme une somme, malgré sa brièveté. Enjeu ressenti pour Loïc Herry dont le temps était compté… Un des charmes forts du livre tient à ce que l’auteur a su trouver les mots, le rythme, et plus encore le ton qui permettraient au lecteur de partager une véritable quête, de s’y reconnaître aussi, tout en percevant qu’il s’agit de l’expérience unique d’un poète. D’un être qui donne à voir ce que l’autre n’a fait qu’entrevoir confusément, percevoir sans avoir les moyens du dire. Approche de « ces pays qu’on lit pierre à pierre / lampe du naufrageur / ciel déchiré de mouettes » où « le pied s’enfonce dans l’humus », où les pas « clappent au loin » où l’on est pris par « l’infini et la paralysie » tandis qu’en même temps s’éprouve un « brasillement d’être ».

En contrepoint, avec les mots justes – caseyeurs, remorqueurs, sillages, cordages, vagues et treuils – la vie du large envahit les poèmes. Mais curieusement, le poète, grand voyageur arpenteur du monde, nous laisse à quai. Autant, par le contact des cinq sens, par l’image, un univers urbain ou agreste nous est rendu proche, autant la mise à distance avec l’ailleurs demeure soigneusement entretenue.

Loïc Herry nous laisse aux portes qu’il ne nous laissera pas franchir avec lui. Il garde un domaine dont il sait qu’il gagne plus à être rêvé que raconté

Arlette ALBERT-BIROT,
Présidente du Marché de la Poésie à Paris, a enseigné la poésie moderne à l’E. N. Sup. rue d’Ulm.

Loïc Herry, un parcours fulgurant

Né à Cherbourg, Loïc Herry laisse une œuvre brève, mais fulgurante, qui reste encore largement inédite. Un petit livre, « Ouest », vient de sortir chez un éditeur canadien. Superbe.
Par sa simplicité et sa lisibilité immédiate, « Ouest » est peut-être le livre idéal pour entrer dans l’univers fascinant de Loïc Herry. Dès les premières pages, on est saisi par la qualité de l’écriture. La mer et la Hague, ce pays « qu’on lit pierre à pierre / lampe du naufrageur / ciel déchiré de mouettes », hantent l’imaginaire du poète. Dans une formule admirable, il dit son accord avec le génie du lieu : « j’habite dans / le cri du goéland ». Et plus loin : « Courir sur la plage les bras écartés en / suppliant les mouettes / dans un langage perdu ».
Loïc Herry a aussi vécu dans l’Orne et a été fasciné par le « silence immense » des forêts. Il a cherché la paix sous « le ciel immense et fade ». Il a goûté « la vie retirée loin des marées ». La présence de cette Normandie, lente et paisible, contraste avec le charme enivrant de la Hague, ce paradis minéral, où la pierre « boit les regards comme en prière ». Mais les deux univers ne s’opposent pas. Ils se complètent et s’harmonisent. Tous les chemins convergent vers le rivage, d’où l’on devine ces Îles Bienheureuses, qui attirent le poète irrésistiblement. Loïc Herry est un poète du départ : « Partir. Au bout. Là-bas où il n’y a rien ».
Il est vrai qu’il est d’une génération qui a entendu l’appel de la route retentir dans les livres de Jack Kerouac, et qui est partie, sac au dos, à la découverte du monde. Lui, le Cherbourgeois, c’est la sirène d’un navire en partance qui est un jour descendue « dans son ventre » et qui lui a donné du courage : « partir il faut partir quand ça crie quand ça fume poing sur le sol soulever le cercueil partir dans ce sillage déjà pris quand la lumière appelle soupçon certain d’une rive autre et sans âge puissance de la nuit quelle étrave ô mon thorax ? »
Un très beau livre d’un jeune poète qui, sentant ses forces décliner, avait mis toute sa nuit dans ses derniers vers.

Bruno SOURDIN – OUEST-FRANCE – Edition Nationale août-sept. 2003

« OUEST »

Quand vous vous promènerez dans la pointe de la Hague – un lieu à ne pas manquer ! – il conviendra de ne pas oublier un recueil de poésie : Ouest, qui vient de paraître aux « Ecrits des Forges » au Québec. Voilà un recueil qui vous donnera à voir vraiment « ces pays qu’on lit pierre à pierre », à écouter « la sirène / descendre dans son ventre » et la « corne de brume », à sentir enfin l’odeur des varechs. Oui, à lire ce livre dans toutes les suggestions qu’il déroule, on se dit qu’on n’a jamais encore visité – ou plutôt vécu – la Hague, et l’Ouest en général. Il nous manquait les mots, ces mots que nous offre, post mortem, Loïc Herry. Un « passant considérable » lui aussi, comme l’indique justement François David dans sa belle préface. Loïc Herry nous « apprend à voir » là où son propre regard est comme affûté par le temps qui lui manque.

Loïc n’évoque pas que la Hague. Il pousse parfois plus à l’est : Chambois, la forêt de Goufern… voire même il désigne tous ces lieux « cachés encore dans le poing des vivants » sur « le plus petit atlas du monde ». L’Ouest, après tout, n’est alors que ce lieu tissé de grande humilité – et de mots nus – pour vivre enfin, vraiment, ici et « Dénouer la trame dans les noms », pour retrouver « l’étreinte du monde / quand la parole te perce ». L’Ouest n’est que ce lieu qui s’accorde à la chair car cette dernière n’est jamais loin non plus. Elle occupe l’espace, le paysage et c’est là que nous nous rencontrons. L’espace et le temps se déroulent dans une grande sensualité : « Le temps se défait comme une femme dans la chaleur – et ses lèvres rouges – ce fruit – biblique ». Ici, on « sent les seins sous les bijoux des femmes ». Sous chaque mot, son poids d’amour.

Ce natif de Cherbourg a su (non, il sait !) consumer la vie, toute la vie, devant nos yeux éblouis. Ce feu-là, quoi qu’il advienne, n’est pas près de s’éteindre.

Guy ALLIX NORMANDIE-MAGAZINE 2003 – N° 187

Loïc Herry, fasciné par son « pays d’Ouest »

…Un volume de poèmes dédiés à la Hague vient de paraître. Intitulé Ouest, ce livre est d’une force incroyable.
Dans Ouest, Loïc Herry parle du Cotentin, de la Hague, de la pluie, du « ciel immense et fade », du souffle de l’océan, du cri du goéland et de la renverse des marées…

Céline GUÉNOLÉ LE VIQUET – St Michel 2003

LETTRES d’ECRIVAINS au sujet de OUEST

Quel poète était Loïc Herry…

Je reviens sans cesse au recueil… et je m’émerveille de cette langue précise, exacte, qui ouvre toutes grandes les portes de l’imaginaire. Minéralité des mots, fluidité de la pensée. François David a raison d’évoquer Rimbaud, mort jeune à la poésie, sinon à la vie. C’est la même trajectoire fulgurante, c’est la même absolue maîtrise atteinte dès l’orée de l’écriture.

L’Ouest bien sûr, la Hague, évidemment et indubitablement, mais je dirais presque : peu importe. Bien loin de tout régionalisme, la poésie de Loïc atteint à l’universel.

Gilles PERRAULT

J’ai toujours été touché des grands « éclats » intenses de la poésie des profondeurs : Loïc Herry était de la race des grands seigneurs, des Leiris et des Artaud ; son livre publié par l’ami François David m’a longtemps servi de modèle, dans la ligne épurée. Hier, je le relisais encore…

La trajectoire de Loïc Herry m’a frappé…: les mots traversent les cieux d’autant de cathédrales que d’êtres forts.

Paul Sanda – Maison des Surréalistes

Ce que j’ai essayé de dire, c’est qu’il ne fallait pas seulement présenter Loïc comme un bon ou très bon poète de plus, mais comme vraiment un grand poète, ainsi que je le crois..

François DAVID, écrivain et poète, créateur des éditions Møtus

En 2000, un critique avait déjà parlé de OUEST, alors inédit…

Le Rimbaud cherbourgeois

Ce jeune auteur, natif de Cherbourg et enseignant dans l’Orne, laisse une production poétique et littéraire étonnante. Certaines existences sont si brèves que les qualités de la personne n’apparaissent qu’après leur mort.

L’écriture a toujours été pour lui un besoin, une nécessité.

Le hasard des nominations l’a emmené dans l’Orne à Alençon, Flers et Mortagne-au-Perche, loin de son Cotentin natal, pourtant toujours présent dans ses créations :  » Une île dans la pluie. Royaume des ombres… Ces pays qu’on lit pierre à pierre / lampe du naufrageur / ciel déchiré de mouettes  » Ouest.

La conscience d’une fugacité de la vie, de sa vie, est fortement présente dans ses œuvres. Le thème du souffle, des poumons, revient régulièrement, bien avant l’annonce de la maladie « …soupçon certain d’une rive autre et sans âge / puissance de la nuit / quelle étrave ô mon thorax ?  »

Matthieu Toussaint – LA MANCHE LIBRE 2 juillet 2000

Souvent lorsque je joue Camille Claudel, tonnent ces vers de Loïc :

Hurlée sur les barrières couchées
Grise la magnifique plie les
Orgueils les mirages ton rêve
Ce bois pourri cogne au quai pas une
Porte sinon l’ultime

Vaine et vive la joie
ce goût de sang frais
et la force innombrable

Cède ton front à la rage trans
Parente cède et capte dans ta
Poitrine la torsion de l’ivresse
Sacrée
Voilà, il doit savoir que de la steppe où il se trouve, berger gardant les filantes, l’un de ses frères de combat est réconforté par son souffle d’ange, et que de maux à maux se tissent les réels liens du ring où a lieu le combat !

Demain lorsque je serai Camille Claudel, à Toulouse, à l’heure où les enfants s’endorment, accordez-moi la permission de réveiller Loïc et l’inviter à regarder et voir la représentation que je donnerai comme un acte de fraternité.

Charles GONZALES, comédien 9 janvier 2005

(Charles Gonzalès, qui a incarné Camille Claudel au Théâtre du Lucernaire à Paris pendant deux ans, en Espagne, en Belgique, puis à nouveau à Paris, a lu en entier le recueil OUEST au Marché de la Poésie de Paris 2003)