Crise de manque, recueil de poésies

2010 – Parution de Crise de manque

« Loïc Herry, le seul vivant », préface de Hubert Haddad
« Ecouter chuinter les chouettes », postface d’Arlette Albert-Birot,
éditions Bernard Dumerchez, 2010

graphisme de Loïc HERRY

Ont aidé à la parution de ce livre : l’écrivain Hubert Haddad et Arlette Albert-Birot.

Extrait d’une lettre de Loïc à Christel, 1994 : « Voici Crise de manque…C’est écrit d’abord à partir de toi, du manque de toi, et dans la constance de ta présence. Plusieurs passages, concernant « le bout du monde », n’auront de sens que pour toi et moi. Mais le manque, là-dedans, désigne aussi le lieu de la poésie dans la société contemporaine : nulle part. C’est pour cela que la dernière partie tourne autour d’Antigone, celle qui dit ce que les autres ne veulent pas entendre ; c’est pour cela aussi que les versets sont entrecoupés d’annonces publicitaires et de slogans divers ; au manque répond le trop-plein : fracas permanent des « informations » vides de sens, recouvrements successifs de strates de paroles qui cessent d’être de la parole pour n’être plus que du bruit (c’est ce que j’appelais la « rumeur »). »

Hubert Haddad intitule sa belle préface : « Loïc Herry, le seul vivant »

Loïc Herry nous retient par sa jeunesse arrêtée. L’œuvre est prémonition du temps court, passion en suspens de l’instant à vivre : tout doit être réinventé sans pesanteur, avec une sorte de précipitation intuitive.

… Loïc Herry rassemble à cru, dans un montage de flashes d’information, de faits divers ou d’annonces publicitaires, la flottante disparité des signes qui nous assiège tandis qu’un abîme nous aspire au-delà, vacuité suprême qu’un chant sauve par éclats revenus. [ … ] …évocation intemporelle de la femme aimée qui ponctue d’une harmonie jazzée ce jeu de dissonances.

Tout est départ, chez Loïc, dans la foulée de vent rimbaldienne sans semelles ni galoches :

Antigone est la sœur cachée du poète, sa voix d’encre ensevelie qui devient source à l’instant clair du départ :
… La vie du poète n’est-elle qu’une crise de manque : de l’amour et de la vérité, de cette aveuglante beauté de l’instant qui nous tue ? Cette vie en crise – c’est-à-dire en manque illimité – récapitule en tout cas le choix de l’impossible à la façon écartelée de l’ange, dont une aile est envol et l’autre chute.
La postérité de Loïc Herry tient à ce miracle : il nous rend vie à le lire.

Hubert HADDAD

Et Arlette Albert-Birot*, grâce à qui le recueil est sorti à temps pour les 3 lectures au salon de Caen en mai, avant celles de Paris et de Cherbourg, résume dans la postface lntitulée « Ecouter chuinter les chouettes »

Ainsi s’achève la publication de l’œuvre interrompue de Loïc Herry. … L’œuvre jeune à jamais d’une vie trop brève ; quinze années essentielles vouées à l’écriture pendant lesquelles le poète continue à vivre intensément, explorateur inlassable, curieux de toutes les découvertes que chaque jour lui apporte…

En février 1993, une première version de Crise de manque – qui alors ne fait qu’un avec Night and Day – est terminée. Loïc propose le manuscrit à des éditeurs ou à des revues. Mais … le temps lui est compté – il n’a plus que seize mois à vivre.

Loïc enrichit l’étonnant Crise de manque, amputé de Night and Day, désormais court recueil autonome. « Je ne sais jamais comment expliquer ces choses-là – disons que tes doigts ou tes hanches ont changé la couleur de mon imagination » écrit Loïc à Christel le 15 septembre 1993. Long poème en ruptures, si actuel lorsqu’il montre la montée irrépressible d’une absurde société de consommation, si intemporel lorsque, en contrepoint, il s’adresse directement à Christel, radieuse présence. « Je vois ton corps dans l’eau turquoise, tes épaules écartent le rêve, tes hanches sont dans mes mains. Tu m’as été donnée ; Le manque est mon fait. »

Mais plus encore c’est à l’auteur qu’il faut rendre grâce d’avoir laissé une œuvre si forte que, désormais, on trouve Loïc dans les anthologies poétiques, on lui consacre des lectures, des expositions…
Il appartient à la cohorte des ombres qui éclairent notre vie.

Arlette ALBERT-BIROT

* Arlette ALBERT-BIROT, décédée en juillet 2010, a enseigné la poésie moderne et contemporaine à l’Ecole Normale Supérieure rue d’Ulm, et a consacré sa vie à la défense de la poésie.

Sur le site du Centre National des Lettres de Paris, on lit : « Présidente de la commission Poésie du CNL de 2006 à 2008. Défricheuse inlassable des écritures contemporaines, connaisseuse passionnée des avant-gardes littéraires, lectrice avisée des grandes œuvres d’hier et d’aujourd’hui, Arlette Albert-Birot était une ambassadrice hors pair de la cause poétique. » ( septembre 2010)

Extraits de l’étude magistrale écrite par Madeleine RENOUARD en 2012

dans Poésie vivante – Hommage offert à Arlette Albert-Birot (éditions Champion)

Une parole poétique d’aujourd’hui: Crise de manque de Loïc Herry

L’écriture de Loïc Herry s’inscrit dans cette fracture entre le vide causé par l’absence de ce(lle) qui compte et le trop-plein de ce qui ne compte pas. Comment échapper à ce bombardement de mots dès lors que l’on veut faire advenir une parole neuve?

Les pièges sont multiples et celui de l’héritage culturel, des lectures, en est un au même titre que la doxa. L’amour peut-il se dire – voire se vivre — sans emprunter aux grands textes ou aux clichés de la vie quotidienne ?… A vouloir dire, on court toujours le risque de retisser le même tissu verbal.

Loïc Herry échappe à ce risque en juxtaposant l’intime et le général. C’est ainsi que se manifeste sa présence au monde2 elle allie un discours amoureux et l’esquisse d’un témoignage sur son temps.

Constitué de quatre parties d’inégale longueur, le texte est un ensemble de poèmes très aérés. L’ouverture en est une notation amoureuse « Dans l’été de tes reins »… Le corps érotisé de l’aimée est omniprésent:…c’est donc en amoureux que le poète vit sa vie ; il n’en est pas moins critique et lucide sur l’état du monde.

Si l’amour est le thème le plus important de ce recueil, il n’est pas le seul. La guerre est elle aussi un thème majeur. Il s’agit de la deuxième guerre mondiale en Normandie, vécue à travers les souvenirs des parents du poète et de la familiarité avec la terre-normande – où il a vécu. …Ici, Loïc Herry formule sans ambiguïté le constat suivant – lucide et dramatique : les guerres ne cesseront pas, les hommes continueront à s’entretuer. « Pas d’illusion » (p. 23)… La Normandie – terre des ancêtres – est aussi le lieu de l’expérience quotidienne. Le repérage dans l’espace est précis : « Falaise – 15 km » (p. 14)- Le texte poétique accueille aussi les notations les plus triviales : « Indemnités chômage – Ensilage du maïs (c’est octobre) » (p. 24). L’envolée lyrique est contrôlée, réprimée pour que se dise l’aujourd’hui.

Le poème procède tel un collage en juxtaposant annonces et notations ; le divers et l’hétéroclite traversent l’espace et le temps. Dans le brouhaha des signes, la parole « vraie » se cherche, toujours menacée, toujours prête à être récupérée… Le monde verbal est cette cohabitation vertigineuse de mots et de formules… La méga machine accumule, assimile les langues, broie, recycle etc. Le monde est un immense marché où achats, ventes, mesures et démesures nous abrutissent. Un monde a disparu… Il s’y substitue l’univers de coca-cola …

Est-ce la marque d’une présence humaine ou simplement, tragiquement, ces signes vides que notre époque fabrique ? En évoquant les rituels populaires, Loïc Herry ne se livre pas simplement à une célébration de la vie ordinaire, il désigne très souvent des moments d’aliénation. Le constat qu’il fait est sans ambiguïté : « Où sont les rêves ? »… « L’âme est un tiroir-caisse »(p. 30) … Les considérations socio-politiques qui inscrivent clairement le texte dans son époque (en en livrant une critique aussi lapidaire soit-elle) sont, on le voit, assorties d’une réflexion sur l’identité individuelle, personnelle : qui suis-je ?

On peut alors interpréter le tissage textuel de Loïc Herry comme un jeu de cache-cache avec l’irrémédiable : la mort. …La conscience politique du poète est en éveil, le texte a valeur de témoignage et vise une dénonciation (des dérèglements du monde, de l’aveuglement des hommes et de leur violence).

Le texte ménage des pauses (on dirait aussi des arrêts sur image ou des stations dans ce « chemin de croix » laïque). Un exemple en est, pour montrer l’inanité des médias et le pouvoir de la rumeur, l’écriture parodique d’un bulletin d’information radiophonique. En chronométrant les différentes rubriques, Loïc Herry ancre dans le réel sa critique des médias ; il exhibe ainsi le bombardement tragi-comique auquel se livrent quotidiennement radio et télévision… Autre pause, une autre annonce : « Authentique voiture blindée de gangster criblée de 150 balles, Christie, août 1992, 250.000F » (p. 24). Loïc Herry met ici le doigt sur une caractéristique de notre époque (où tout se vend). Où donc se situent le beau, le laid, le vrai, le faux ? L’esthétique d’aujourd’hui n’a que faire du « beau ». La posture du poète est morale plus que polémique ; sans forcer le trait, sans condamnation directe, il montre les dérives d’un monde où tout s’achète et se vend.

Le contraste entre la frénésie des échanges et le calme de la campagne est souligné dans le texte sans toutefois donner lieu à une profession de foi écologique… L’automne à la campagne est évoqué avec lyrisme: « Fumées des cheminées – Frondaisons rouille et or. Les collines, les forêts. C’est beau, c’est grand, c’est calme » (p. 23)… Le texte propose de multiples entrées tant il est fait de blancs incitant à la réflexion ou à la rêverie.

Il y a dans l’approche de Loïc Herry un sens prémonitoire de la crise qu’il n’a pas connue mais que son regard attentif a su capter au point de poser la question qui est désormais dans toutes les têtes ; « Who will pay ? Who’s prepared to pay the price/for a trip to paradise? »… Le texte dit clairement que la consommation, l’information sont caractérisées par l’excès, la démesure. « Crise de manque ; ça déborde ». Ce moment paroxystique saisi par le poète est à la fois intime, et collectif, politique. L’absence de la femme aimée est douloureuse, le monde traverse lui aussi une crise ; celle-ci n’est pas liée à la pénurie mais à la surabondance de « biens » dans le monde occidental. Le texte propose un discours critique sur la civilisation contemporaine…

Crise de manque de Loïc Herry est une parole poétique de notre temps. Elle capte la beauté du monde, le désir éperdu de la femme aimée mais saisit aussi avec acuité et lucidité le désordre du monde contemporain tout entier tourné vers le mercantilisme et la financiarisation des rapports humains. « Who will pay ? ». Inquiétude dans ce monde qui court à sa perte. « C’est la vie qui s’en va – la vie » (p. 41). C’est aussi l’adieu au monde de ce jeune poète qui se sait condamné par la maladie.

Le poème est acte de résistance face à l’irrémédiable, reste la parole écrite qui peut dire : « Un jour, c’est la fin — On mure la caverne, et sa voix est là. Ce n’est pas la voix d’hier, c’est la voix d’à nouveau et encore. ».

Madeleine Renouard, 2012

2 En fin de volume, l’auteur signale ses emprunts; ils sont littéraires et journalistiques mais comprennent aussi l’étiquette de (s)on pantalon. (p 52).

3 Roman de Raymond Queneau.

L’écrivain Gilles Perrault écrit le 18 octobre 2010 :

« Crise de manque » est une œuvre magnifique dont on sort bouleversé. Au reste, en sort-on vraiment ? Je l’ai ouvert, ce livre, sans perdre une minute et, depuis, il m’habite, me hante, m’obsède. Sublime mise en accusation de notre société sinistrement consommatrice par l’énoncé même de son verbiage, hymne à la vie et à l’amour… Hubert Haddad, dans sa très belle préface, exprime fort bien cette dualité.

Quel poète nous avons perdu ! Quel être rare ! C’est d’une infinie tristesse.

L’ordinateur est vide…l’œuvre de Loïc peut entamer un grand voyage dans l’imaginaire des hommes…

J’irai dans les jours prochains acheter quelques exemplaires de « Crise de manque » pour les offrir à des amis, sachant que la lecture de cette œuvre ne peut qu’éclairer et agrandir la vie de son lecteur.

Gilles PERRAULT

L’ultime recueil de Loïc Herry publié

Dans Crise de manque, le poète Loïc Herry mêle des rêveries, des paroles essentielles et profondes, avec des publicités, des fragments d’articles de journaux, des mots repérés ça ou là sur des objets usuels. Il montre à quel point la société de consommation nous submerge d’un irrémédiable déferlement de signes d’une navrante vacuité. Quelle place reste-t-il à la conscience, à la vérité et à l’amour sous un tel torrent d’inepties ?

C. GUÉNOLÉ – La Presse de la Manche, 29 octobre 2010

La voix du poète une effraction dans l’absurdité du monde

La poésie nous manque. Ensevelie sous le bruit du monde, sa « rumeur », le flux futile de son consumérisme à tout va…

Publié à titre posthume Crise de manque est le poème d’amour magnifique que Loïc Herry adressa à Christel, sa compagne, poème que viennent faire dissoner les effractions absurdes de la société de consommation. « Lentilles cuisinées aux petits légumes, William Saurin, 525 F. (Et hop ! Prisunic.)/ Terrible envie de faire l’amour. C’est cette chaleur soudaine, et l’orage qui couve. Christel, tes hanches marquent mes paumes, tout ton corps surgit blanc devant moi. » « Cet usage critique des bruits du monde, disparate éventaire, évoque les collages dadaïstes » écrit Hubert Haddad dans sa très belle préface.

La poésie soufre et suffoque, enfuie, enfouie. Même Les Fleurs du mal sont à vendre : « édition originale, entre80 000F et 580 000F (décembre 1990) ». La quête de l’autre, la quête d’amour ne se disent plus en toutes lettres. Non elle se hache, se tronçonne. Dans les colonnes des petites annonces, un mot d’amour en toutes lettres, une phrase complète, c’est vrai, cela coûte plus cher. « JF 29a prof. mign. gaie aim. na. lec.voy. pein. renc »… Il faut donc au poète « creuse(r) de l’ongle parmi les signes indécidables. » Nos mémoires réquisitionnées, brouillées, ont perdu leur poème, dit celui qui voit plus loin que nous. Celui qui résiste : le poète.

Le poète, c’est Antigone, « voix maintenue sous la rumeur ». Ensevelie, on entend encore Antigone. « Ses frères boivent l’oubli, mais elle va.[…] On mure la caverne, et sa voix est là, encore. Ce n’est pas la voix d’hier, c’est la voix d’à nouveau et encore. » Antigone et le poète nous parlent toujours. Image troublante, image nécessaire. Crise de manque clôt l’œuvre de Loïc Herry.

Nathalie COLLEVILLE – Livre / échange – N° 52 – octobre 2010 C.R.L. Basse-Normandie

Sur site FR3 www.regions.france3.fr/littoral

Loïc Herry partage un amour radieux avec Christel, jusqu’au dernier souffle, et s’incruste dans la force et la beauté des univers maritimes. Polynésie-Poésie mais surtout Ouest, traduit aussi en espagnol (Oeste-Ouest), est une sublimation de ces rivages qui nous appartiennent et nous enlacent comme l’éternité de ses mots.

Et en mai 2018, le poète Thierry CAZALS écrit, au sujet de CRISE DE MANQUE et de NIGHT and DAY :

Une écriture d’une haute densité, qu’une, deux, trois lectures n’épuisent pas…

Loïc a mis une telle ardeur, un tel amour, une telle intensité opérative (au sens « alchimique » du terme !) dans ses mots qu’ils continuent à rayonner, comme au premier jour, au cœur même de son absence… Merci à ses passeurs, les témoins indéracinables de son trop bref voyage.

Par ses livres, édités année après année, Loïc continue de nous rendre visite et nous murmurer son infini secret…